« It takes a village to raise a child » – « Il faut tout un village pour élever un enfant » –, dit un proverbe africain bien connu. Si cette idée résonne encore aujourd’hui, elle est de moins en moins visible dans nos sociétés occidentales modernes, où les parents, souvent isolés, portent la quasi-totalité de la charge éducative et affective.
Pourtant, ce modèle n’a rien de naturel dans l’histoire de l’humanité. Bien au contraire : chez les chasseurs-cueilleurs, les enfants grandissent entourés d’une multitude de figures bienveillantes, au sein d’une communauté tissée de liens étroits, où l’entraide est la norme.
C’est ce que met en lumière une étude publiée dans Developmental Psychology et co-rédigée par le Dr Nikhil Chaudhary, anthropologue évolutionniste à l’Université de Cambridge. En observant les pratiques éducatives des communautés Aka-Mbendjele, dans la forêt tropicale du nord de la République du Congo, il révèle un mode de soin partagé, loin de la solitude parentale occidentale.
Neuf heures de contact avec quinze adultes différents
Chez les Aka-Mbendjele, les nourrissons reçoivent jusqu’à neuf heures de contact physique par jour, réparties entre quinze adultes différents. Les bébés sont portés, bercés, nourris, consolés par une pluralité de personnes – mères, pères, grands-mères, oncles, tantes, adolescents du groupe. Le camp compte entre 20 et 80 membres, et chaque enfant est l’affaire de tous.
Les pleurs ne sont jamais ignorés ni réprimandés, mais font l’objet d’une réponse rapide, douce, apaisante. Le Dr Chaudhary, qui a observé des centaines de crises de pleurs chez les enfants de moins de quatre ans, note qu’aucune n’a donné lieu à une remontrance. Ce soin collectif, profondément enraciné dans les pratiques ancestrales, assure à l’enfant sécurité, régulation émotionnelle et attachement sécurisé.
L’interdépendance comme socle
Ce modèle éducatif communautaire repose sur une logique d’interdépendance : dans des sociétés où la chasse et la cueillette ne garantissent pas chaque jour une source de nourriture, vivre ensemble permet de mutualiser les ressources… et les responsabilités. Ainsi, si une mère est épuisée ou indisponible, d’autres adultes peuvent naturellement prendre le relais.
Ce mode de vie n’a rien d’anecdotique : il a été le mode de fonctionnement principal de l’humanité pendant des millénaires, avant l’avènement de l’agriculture, il y a seulement 10 000 ans. Aujourd’hui, il ne subsiste que dans quelques rares communautés, souvent menacées par la modernisation. Leur observation constitue pourtant une source précieuse d’inspiration pour repenser notre manière d’accompagner les parents et de soutenir les enfants.
Des enseignements précieux pour les parents d’aujourd’hui
L’étude rappelle qu’en Occident, l’accueil de l’enfant est souvent réduit à un acte individuel, vécu à huis clos, avec peu de relais extérieurs en dehors des modes de garde pensés pour permettre aux parents de retourner travailler. Ce manque de soutien collectif est un facteur de vulnérabilité psychique : la dépression post-partum touche entre 15 et 20 % des mères françaises, et près de 10 % des pères dans l’année qui suit la naissance.
Le Dr Chaudhary insiste : « Le soutien élargi à la parentalité a été une clé de notre succès en tant qu’espèce. Il n’est donc pas étonnant que l’isolement social constitue aujourd’hui l’un des principaux facteurs de risque pour la santé mentale des jeunes parents. » Favoriser des réseaux d’entraide, de co-éducation, des temps de pause réels pour les mères et les pères, ce n’est pas un luxe : c’est une nécessité.
Un ouvrage inspirant pour aller plus loin : Chasseur, cueilleur, parent
Pour celles et ceux qui souhaitent approfondir cette vision, le livre Chasseur, cueilleur, parent – L’art oublié des cultures ancestrales de Michaeleen Doucleff est une lecture essentielle. Cette journaliste scientifique américaine a voyagé dans plusieurs communautés traditionnelles – au Mexique, en Tanzanie et dans l’Arctique – afin d’observer comment les enfants y sont élevés. Ce qu’elle découvre bouleverse toutes les idées reçues de la parentalité occidentale moderne.
Chasseur, cueilleur, parent, L'art oublié des cultures ancestrales
Loin des injonctions, des conflits de pouvoir entre parents et enfants, ou des stratégies éducatives compliquées, elle décrit des pratiques ancestrales basées sur la coopération, l’exemple, le calme, et l’implication naturelle des enfants dans la vie collective. Doucleff partage avec humour et humilité son propre cheminement de mère, confrontée au chaos de l’éducation dans un monde individualiste, et comment ces cultures l’ont aidée à apaiser son quotidien familial.
Son ouvrage est à la fois un témoignage personnel et un guide pratique, nourri de recherches en anthropologie, en psychologie du développement et en neurosciences. Il invite à réintégrer des gestes simples, à faire confiance à l’enfant, et à s’entourer d’un « village » – réel ou symbolique – pour ne plus porter seul le poids de l’éducation.
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